mercredi, novembre 15, 2006

EXCLUSIF/France/Sécurité : les « expulsions spectacles » ne servent à rien, sont dangereuses et favorisent la « grogne » dans les rangs de la police

A compter du 1er janvier 2007, Roumains et Bulgares, devenus nouveaux citoyens de l’Europe à 27, pourront franchir librement les frontières de l’U.E. et donc de la France. Cela ne dissuade pas, apparemment, le ministère de l’Intérieur d’envisager de les expulser à un rythme accéléré durant les dernières semaines de 2006, parfois au détriment de leur sécurité.

Selon les policiers qui ont pris contact avec l’ESISC pour dénoncer ces faits, l’objectif du cabinet du ministre de l’Intérieur est d’atteindre le chiffre symbolique des 25 000 expulsions annuelles. La raison de ce choix est simple : l’éloignement des ressortissants des Pays de l’Est se déroule le plus souvent sans incident, tandis que lors des mêmes opérations menées avec des Africains ou des Magrébins, les rebellions et violences sont monnaies courantes, ce qui nuit évidemment à l’image que la place Bauveau souhaite donner de ses policiers. L’arrêt des expulsions de Bulgares et Roumains à compter du 1er janvier devrait se traduire par une baisse de 27% des mesures « d’éloignement du territoire ».

Le fait que le ministre de l’Intérieur soit le principal candidat de la majorité aux futures élections présidentielles n’est sans doute pas totalement étranger à ce forcing policier peu raisonnable. Car ces opérations coûtent cher pour un résultat, on l’a dit, dérisoire, puisque, dans six semaines, les frontières seront ouvertes aux ressortissants des nouveaux pays membres. Ainsi, le 3 novembre, un avion d’Air France affrété par le ministère ramenait à Budapest 75 Roumains en situation irrégulière. L’opération qui a mobilisé 86 policiers a coûté environs 400 000 euros.

Et il n’y a pas que le coût exorbitant de ces opérations inutiles à poser un problème : leur danger est réel. Un autre vol charter a eu lieu le 8 novembre, moins spectaculaire, certes, mais nettement plus périlleux. Un DASH 8-100 de la Sécurité civile (rattachée au ministère de l'Intérieur) rapatriait 25 Roumains vers leur pays, accompagnés par 25 escorteurs. Les DASH 8-100, au nombre de deux, sont les remplaçants des deux Fokker-F27 jusque-là utilisés comme bombardiers à eau pour lutter contre les feux de forêt et retirés du service. Les deux avions ont été acquis auprès de la société canadienne Conair par le ministère de la Défense pour le compte du ministère de l’Intérieur. Ils n’ont jamais pu remplir correctement leur rôle, à tel point que la sécurité civile a souhaité s'en défaire. Le ministère de l’Intérieur les utilise désormais pour… transporter les expulsés. L’un des appareils est basé à Bordeaux et l'autre à Marseille/Istres.

Selon nos sources, les deux avions n'auraient pas obtenu l’autorisation de vol de la Direction générale de l’Aviation civile et sont donc en situation de « dérogation permanente ». Jusqu’au « pépin »… qui risque fort d’arriver. Transformés en hâte pour transporter des passagers, les DASH 8-100 ne répondent pas, en effet, aux exigences d’un transporteur, n’étant, entre autres, pas équipés de… masques à oxygène. Un détail gênant pour un appareil qui peut voler à 7 620 mètres (25 000 pieds). En cas de problème, nourrissons, vieillards et personnes en mauvaises conditions physiques seraient donc en danger.

La grogne policière est encore aggravée par la gestion administrative de ces opérations : les « reconduites » sont encadrées par les 165 « escorteurs » de l’UNESI (unité de police spécialisée dans ces opérations) et par 40 fonctionnaires des Renseignements Généraux de la Préfecture de Police de Paris. Actuellement, ces fonctionnaires sont à la limite de la révolte car le décret 2006-781 du 3 juillet 2006 du ministère de l’Intérieur réglementant des frais de mission oblige les escorteurs à avancer de fortes sommes (billets de retour quand les expulsions ont lieu sur un avion de ligne, déplacements locaux, etc.) qui les met souvent en situation débiteur à leurs banques. Pour des policiers touchant entre 1 500 et 2 000 euros par mois et devant souvent attendre leurs remboursements de frais entre 3 et 6 mois, la coupe est pleine…

Si nous avons décidé de relayer les inquiétudes policières, c’est que nous ne pensons pas que la politique sécuritaire dont la France a un besoin impérieux puisse se mener à coup d’opérations spectacles, d’effets d’annonce et de mesures mettant en danger la vie des personnels et des usagers. Surtout quand ces mesures ne servent à rien d’autre qu’à alimenter mécaniquement de vaines statistiques.